Depuis, environ 30 ans, la réalisation du travail est de plus en plus individualisée. Les organisations du travail poussées par la performance et la concurrence, introduisent des systèmes basés sur la réussite individuelle. Il semble que les pressions externes poussent les entreprises à se positionner sur des démarches agressives en termes d'organisation du travail mais aussi de management.
Il ne s'agit pas ici, de juger le positionnement de ces entreprises, mais de s'intéresser aux résultats de cette orientation.
Cette gestion individualisée de la performance a plusieurs effets sur la réalité du travail.
Le premier, qui est observé depuis les années 80, consiste en un morcellement des collectifs de travail. Ce morcellement, décrit par Christophe Dejours, mais aussi Yves Clot, produit un isolement des salariés qui ne permet pas à ceux-ci de trouver les ressources à l'intérieur du groupe.
Le deuxième effet de cette fragilisation des collectifs se reflète dans les conflits et la qualité des relations dans l'entreprise. Selon Christophe Dejours, le travail est une activité socialisante (et bien plus) dont un des objectifs est de produire une activité spécifique, l'activité déontique.
Cette activité consiste à produire, à discuter des règles du métier. Dans le même esprit Yves Clot insiste sur le nécessaire débat, voire la dispute autour des critères de qualité du travail. Ces activités collectives, formelles ou informelles, permettent d'ouvrir un espace de débat autour du travail.
Cet espace de débat permet de poursuivre la construction des règles du métier, le partage des difficultés rencontrées dans le travail réel et à fortiori de maintenir le travail vivant et de promouvoir la santé au travail. Cette activité déontique ou cette discussion autour des critères de la qualité du travail produisent une émulation collective qui est source de performance et d'intelligence groupale. Cette intelligence est une ressource vive dans l'entreprise qui peut s'adosser à celle-ci pour améliorer son efficacité.
Il s'agit d'une efficacité qui se nourrit d'elle-même et qui s'inscrit dans une démarche de protection de la santé des salariés.
La gestion individualisée de la performance, et du travail produit d'autres effets, mais nous souhaitons nous intéresser aux effets sur les collectifs.
L'isolement des salariés en dehors de groupes dynamiques dans l'organisation peut induire de nombreux risques pour les sujets. Ainsi isolé, le salarié ne parvient plus à se sentir intégré à une communauté de sens, à un métier, à une confrérie. Nous connaissons l'importance du groupe pour l'individu social que nous sommes. Le groupe apporte une protection à un sujet qui doute, qui se sent en insécurité dans son travail.
La vivacité des collectifs de travail est donc essentielle pour la santé. L'autre intérêt réside dans la production d'un vivre ensemble qui met bien souvent l'entreprise à l'abri de la gestion des conflits interindividuels. Le débat vivant sur le travail est une source de prévention des conflits au travail. Dès lors qu'il est possible de débattre, voire de se disputer sur la question du travail, le conflit acquière une dimension positive. L'absence de discussion sur la façon de faire le travail est souvent source de conflit ou en tous les cas ne permet pas que se libèrent les tensions dans le travail.
Les illustrations dans la clinique ne manquent pas au sujet de l'importance du collectif. L'absence de moment de constructions de règles de travail et d'un vivre ensemble produit de nombreux dysfonctionnement, nous l'avons dit.
Dans les institutions de soin (notre domaine de prédilection) ces moments de constructions collectives peuvent prendre plusieurs aspects :
- Analyse des pratiques professionnelles (APP). Sur le modèle des groupes Balint ou du psychodrame institutionnel (Cru), la discussion se base sur le travail avec pour objectif d'échanger sur les pratiques. Le cas, est un "prétexte" pour faire évoluer le travail et la compréhension de pratiques toujours singulières. Ces APP sont essentielles dans le monde du soin somatique comme psychique. Ces analyses constituent également des temps de régulation essentiels pour le salarié et l'institution, sans oublier, le patient.
- Les groupes d'analyses interdisciplinaires. Ces moments permettent de construire un collectif transversal qui aide à comprendre le travail de l'autre. Ces groupes sont également un moyens dans l'idée de Tosquelles et Oury de prendre soin de l'institution. Chaque métier au travers de ses particularités peut apporter un regard différent. Ainsi, c'est l'accompagnement du patient qui se trouve enrichi de visions plurielles. Enfin, ces groupes reflètent en écho, en miroir les effets de la prise en charge sur l'institution. Ces effets sont essentiels dans la prise en compte d'éléments clinique du sujet pris en change mais aussi de la santé du collectif transdisciplinaire. Ainsi, il est possible au travers de ce travail, de produire du sens au sujet de l'activité, mais aussi de l'institution et enfin du ou des patients.
D'autres dispositifs peuvent être inventés, mais ils ont tous en commun de produire une connaissance sur le travail, l'objet de celui-ci et l'environnement que constitue l'institution. Ces dispositif peuvent paraitre coûteux, ils sont néanmoins essentiels pour soigner le sujet et le travail. Ils sont ainsi garant de la santé, des individus et des collectifs.
Renaud Lebarbier
Psychologue-Psychanalyste- Clinicien du travail.
Vernon (27200).
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